De 1997 à 2001 au Canada, les dépenses consacrées aux médicaments vendus sous ordonnance ont augmenté annuellement de plus de 10 pour cent en moyenne et dépassent aujourd’hui 12 milliards de dollars à l’échelon national. Ces chiffres sont tirés d’un récent rapport diffusé par l’Institut canadien d’information sur la santé, organisme qui enregistre les données portant sur la prestation des soins de santé.

Ce constat provoque au Canada une reprise des demandes visant à modifier la politique pharmaceutique et à trouver des moyens de freiner la hausse vertigineuse

des dépenses pour les médicaments.

À la rubrique des dépenses de santé, les médicaments occupent aujourd’hui la deuxième place, après les services hospitaliers.

Selon le rapport de l’Institut, l’augmentation des dépenses totales pour les produits pharmaceutiques au cours des cinq dernières années est principalement due à la hausse des dépenses de médicaments vendus sous ordonnance : depuis 1997, celles-ci sont en effet passées de 8,4 à 12,3 milliards de dollars, soit une augmentation de 46 pour cent. Les prescriptions prises encharge par l’État comptent pour

49 pour cent, au lieu de 44 pour cent en 1999. Les assureurs privés et les ménages prennent à leur charge 51 pour cent du coût total, indiquant une baisse de leur participation. Avec le vieillissement de la population, les Canadiens compteront de plus en plus sur le trésor public pour défrayer le coût de leurs médicaments.

Divers facteurs contribuent à la hausse incroyable des coûts pharmaceutiques, notamment l’augmentation des sommes remises aux sociétés pharmaceutiques détentrices des brevets. Cette croissance résulte de lois fédérales conçues pour mieux protéger les brevets sur les médicaments. Depuis 1987, le Canada a prolongé la période de validité des brevets, d’abord à sept ans, puis à 10, et maintenant à 20. De plus, pour prolonger la protection assurée par un brevet audelà de l’échéance de 20 ans, les laboratoires producteurs de médicaments de marque ont recours au procédé contesté de « rajeunissement constant », qui consiste à diffuser une formulation à peine modifiée d’un médicament breveté sous la même marque de commerce.

De surcroît, de plus en plus de médicaments sont diffusés sur le marché. Les dossiers en attente s’accumulent à Santé Canada, le ministère chargé d’étudier les demandes d’homologation

de médicaments de marque et de produits génériques. Le prix des médicaments dits « de percée » est souvent élevé parce que l’industrie pharmaceutique soutient qu’il a fallu consacrer énormément de recherche à leur développement.

Dans le cadre de leurs programmes d’assurance médicaments, les provinces canadiennes établissent des listes, appelées formulaires, auxquelles elles inscrivent périodiquement de nouveauxmédicaments. À l’inscription d’un médicament, la province prend à sa charge le coût de distribution aux aînés et aux bénéficiaires d’aide sociale. Certaines provinces, comme la Colombie-Britannique, ont farouchement tenté de contenir le coût des médicaments inscrits. D’autres favorisent la prescription de médicaments de marque par leur formulaire; tel est le cas du Québec, foyer d’une industrie de médicaments de marque à la fois de grande taille et de grande importance économique.

Dédoublement inutile ?

On pourrait améliorer le processus d’examen en deux étapes d’un nouveau produit : avant son inscription au formulaire provincial, le produit est d’abord approuvé par Santé Canada, puis par la province.

« Un examen commun pourrait faciliter la décision eu égard à ce qui est inscrit au formulaire et à ce qui ne l’est pas », soutient Ron Corvari, fonctionnaire fédéral au Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés, l’organisme qui approuve le prix des nouveaux produits de marque.

Le Canada n’est pas le seul à s’efforcer de plafonner les dépenses pour les médicaments. De par le monde, les responsables de la réglementation ont à l’œil la consolidation de l’industrie pharmaceutique, veillant à ce qu’il ne se crée aucun monopole pour une classe thérapeutique particulière de médicaments.

Pour le Canada, cependant, toute nouvelle mesure restrictive des dépenses consacrées à l’achat des médicaments pourrait exiger que les gouvernements fédéral et provinciaux se concertent pour régler leurs différends. Ces différends émanent, en partie, du conflit entre la politique de santé, conçue pour modérer les prix, et la politique industrielle, conçue pour créer des emplois et favoriser la croissance économique.

Comme l’affirme, dans sa communication sur la politique pharmaceutique canadienne, Donald Willison, professeur adjoint à l’université McMaster en Ontario, les multinationales pharmaceutiques recherchent des concessions comme :

Fédérations volume 2, numéro 4, juin-juillet 2002

  • des lois de brevets vigoureuses,

  • l’inscription rapide des produits comme bénéfices assurables,

  • moins de restrictions à l’octroi de subventions aux nouveaux médicaments par la voie de l’assurance publique,

  • plus de liberté pour établir le prix des nouveaux produits pharmaceutiques.

Le Canada, les États-Unis et l’Union européenne ont créé des incitatifs pour encourager les investissements pharmaceutiques.

« Il nous faut accepter de porter le fardeau du coût de la recherche dans notre budget de la santé », dit Willison, membre du département d’épidémiologie clinique et de biostatistique de l’université McMaster. « Si nous voulons nous définir comme économie du savoir, nous devons accepter d’en subir les conséquences. »

En effet, en tant qu’« animal mondial », l’industrie pharmaceutique est présente aux quatre coins du monde. Elle est vue comme secteur robuste de la nouvelle économie du savoir, tant vantée ces dix dernières années comme locomotive de croissance économique et de fierté.

Malentendu interprovincial?

Certaines provinces canadiennes, comme la Colombie-Britannique, ont mis en œuvre des politiques pour contenir le coût des médicaments. La politique d’établissement des prix d’après une valeur de référence encourage la prescription de médicaments génériques en remboursant aux aînés leurs médicaments, selon le prix du moins coûteux de leur catégorie thérapeutique particulière si celui-ci est jugé aussi efficace que les produits de marque vendus à un prix supérieur.

Le Québec encourage plutôt la prescription de produits de marque par une politique selon laquelle ce n’est qu’après 15 ans d’inscription au formulaire provincial qu’un médicament est remboursé au prix du produit le moins coûteux ou du produit générique.

« Le gouvernement du Québec choisit de subventionner l’industrie pharmaceutique de produits de marque », affirme Jim Keon, président de l’Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques, qui représente les fabricants de produits génériques. « Il existe des versions génériques moins coûteuses qu’on peut prescrire. »

En effet, une étude de Malcolm Anderson de l’université Queen’s a constaté des retards significatifs dans l’homologation de 34 médicaments génériques entre 1995 et 1999, de même que des divergences dans l’inscription aux formulaires provinciaux des produits génériques moins coûteux.

Pour sa part, le Québec a établi en 1997 un programme universel d’assurance médicaments pour près d’un million de Québécois qui n’étaient pas couverts par un programme privé parrainé par leur employeur ou par un programme public pour les aînés ou les bénéficiaires du bien-être social. Le programme est en déficit depuis son lancement et on a augmenté la co-assurance payée par les bénéficiaires, y compris les prestataires du bien-être social.

On critique ce programme parce que l’augmentation de la co-assurance, que les particuliers assurés individuellement doivent payer, désavantage les plus vulnérables de la société alors que les multinationales pharmaceutiques récoltent de plantureux profits.

Le Québec se retirera-t-il?

En Ontario, la province la plus peuplée du Canada, le ministre de la Santé a réagi à la hausse vertigineuse des coûts de financement du programme de médicaments gratuits de l’Ontario (Ontario Drug Benefit Plan) en laissant entendre que la couverture universelle des aînés pour les médicaments pourrait ne pas être nécessaire.

Dr Panos Kanavos, professeur de politique internationale à la London School of Economics croit qu’il faut se rendre à l’évidence : la politique de la santé et la politique industrielle sont parfois en conflit. Après avoir étudié diverses juridictions, Kanavos a conclu que la présence d’une industrie pharmaceutique influence la politique de la santé.

« Cette industrie est fortement imprégnée par la politique », affirme Kanavos. « Certains pays, comme l’Australie, ont effectivement freiné les prix par la mise en œuvre de politiques comme l’établissement des prix d’après une valeur de référence. L’Australie n’a cependant pas d’industrie pharmaceutique. Une province comme le Québec pourrait réagir si l’on imposait le même principe par le biais d’un système national. Les Québécois pourraient l’évoquer comme une raison de plus de se retirer de la fédération. »

On a proposé comme solution de réduire le pouvoir provincial d’inscription et de désinscription des médicaments pour le confier à un organisme fédéral responsable d’un formulaire national. Le formulaire national supplanterait les programmes provinciaux et constituerait un pas dans la direction d’un programme national d’assurance médicaments.

« S’il y avait un système national, ce serait un pas important dans la démarche de contrôle des coûts car il n’y aurait qu’un seul acheteur », dit Kanavos. « Sur le plan politique, on ne peut probablement pas centraliser le remboursement des frais de médicaments et révoquer le pouvoir des provinces d’administrer les soins pharmaceutiques. »

Mais pourrait-on politiquement faire accepter cette proposition aux provinces jalouses de leurs pouvoirs? Willison propose une solution de mouture canadienne : les provinces mettraient leurs programmes d’assurance médicaments au même diapason tout en restant indépendantes les unes des autres. Les administrateurs des programmes se consulteraient au sujet des produits à inscrire et à ne pas inscrire au formulaire, ce qui ressemblerait davantage à un consensus.

Les sociétés pharmaceutiques et la publicité

Les sociétés pharmaceutiques consacrent une forte proportion de leurs dépenses à la commercialisation de nouveaux produits. Elles lient souvent leur budget de commercialisation à celui de la recherche et du développement.

Au Canada, Roy Romanow, directeur de la commission qui étudie l’avenir du système de santé du pays, s’est maintes fois adressé au grand patron de la société pharmaceutique Aventis Pasteur pour savoir quelle somme la société consacrait à la recherche et au développement de ses produits relativement à la commercialisation : il n’a pas obtenu de réponse directe.

Au Canada, les produits pharmaceutiques ne peuvent légalement pas faire l’objet d’une publicité directe aux consommateurs. Mais les consommateurs canadiens de médias américains, les téléspectateurs en particulier, sont exposés à une publicité qui désigne les médicaments par leur nom. Par son omniprésence, le marketing pousse implicitement les gouvernements provinciaux à rendre disponibles les nouveaux médicaments.

« La publicité attribue des vertus miraculeuses à de nombreux médicaments », affirme Kanavos, faisant allusion aux médicaments contre l’arthrite qui apparaissent depuis trois ans et que l’on vante pour éviter les ulcères hémorragiques. « C’est une affirmation inexacte. Mais quand les consommateurs voient la réclame, ils s’attendent à avoir accès au produit. On veut limiter l’effet que peut avoir un médicament coûteux sur son budget, alors on pourrait peut-être restreindre le nombre de produits offerts dans une classe donnée de médicaments. »

Fédérations volume 2, numéro 4, juin-juillet 2002